A l’école, quand j’étais un petit court et bref, il arrivait trop tôt le moment où l’instituteur demandait aux élèves :
- Que voulez-vous faire plus tard ?
Ca prenait la forme d’un exposé oral debout au tableau ou d’un texte écrit à la maison à rendre demain : première personne du singulier, utiliser le futur de l’indicatif ; les plus doués feront une rédaction circonstanciée.
Médecin, pompier, mécanicien ou rien –pour les plus audacieux- restaient des réponses coutumières. Le métier de papa ; celui de l’oncle d’Amérique ou du cousin Pancrace inscrivait l’élève dans une tradition familiale bienséante. Le catalogue des professions impossibles ou des gagne-pain terre-à-terre renseignait, définitif et irréparable, le pouvoir scolaire sur le caractère des futurs travailleurs.
Cette année-là, ce fut une réponse orale argumentée que l’instituteur nous demanda. D’année en année, j’essayais d’améliorer ma prestation, d’enrichir mon argumentaire. J’avais devant les yeux le canevas analytique de mon intervention : les lignes dansaient, les encres se brouillaient, la feuille se froissait au simple regard.
Quand vint mon tour, mes premiers mots furent inaudibles et je dus m’éclaircir la voix, parler plus haut sur les conseils de mon maître. Je rougissais plus que si j’avais dit des gros mots devant un parterre d’inspecteurs ; mes camarades momentanés riaient sous cape, se moquaient ouvertement d’un propos qu’ils savaient, avant que je n’ouvre la bouche, stupide ou regardaient la pointe de leurs chaussures craignant que ma réponse ne m’inflige le courroux du précepteur.
- Je veux faire « mort ».
Et je développais, dans une langue sans virgule ni point qui valait zéro.
- Je remarque que les morts sont entourés de bienveillance que le fait de mourir les rend bons auprès de ceux qui les ont toujours fréquentés et jamais excusés que la mort donne une sérénité une humanité à son sujet par exemple la mort avait rendu sobre le grand’oncle même si ça ne se voyait pas encore dans ses yeux elle avait remboursé à la cousine sa beauté d’enfant et rendrait le père presque aimable donc presque aimé.
Je terminai en hâte ma narration et fermai les yeux au souvenir de la réaction affolée de la maîtresse de l’année précédente. Lui, le maître, souriait jaune, les élèves s’autorisèrent un regard en coin ; les plus impertinents chantèrent en sourdine : « dans un amphithéâtre, y avait un macchabée, ce macchabée disait : qu’est-ce qu’on s’emmerde ici ».
La punition fut collective, la convocation des parents individuelle. A la lecture de mon brouillon, c’est le père qui prit le plus mal la chose.
Ca ne l’a pas tué, ça ne l’a pas rendu plus aimable.
5 commentaires:
c'est vraiment du vécu? Si oui , c'est beau et avec le recul , ça donne effectivement envie d'être "mort"
de qui est ce texte ? je le ferai bien mien !
ce texte est de moi, comme tous les textes de ce blog(sauf indication contraire)
et c'est du vécu , comme l'a demandé "anonyme"?
toutes les sensations, tous les sentiments, tous les ressentis sont autobiographiques ; les situations et les faits, non. mais je me souviens d'un cours d'espagnol (classe de 1ère) où le professeur nous demanda quel était notre idéal de vie et que ma réponse ressemblait à cette "leçon de choses"
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