vendredi 28 février 1997

Je t’écris sur papier d’harmonie... (isabelle mayereau)

De L’enfance (1977) à Film noir (1987), Isabelle Mayereau, auteur-compositeur-interprète, imposa son univers singulier par une discographie plurielle que les enfants du cd ne connaissent pas. Et pour les fans, la compilation de 1988, pourtant riche, est une maigre consolation. La réédition de Les mouches et Film noir (dont l’essence est gâchée par des arrangements malheureux) à l’occasion d’une série de récitals au Théâtre de Dix Heures en janvier 96 nous met l’eau à la bouche. Hélas ! restent, à ce jour, cinq albums que nos platines laser ne peuvent jouer. Et bienheureux ceux qui ont conservé leurs 33 tours. Car c‘est ça aussi la venue du cd : des carrières décédées.

L’apparition d’Isabelle Mayereau (bien en vie, elle !) au 8eme Chorus des Hauts-de-Seine (1995) et ses nouvelles chansons nous rassurent sur les chances d’enregistrement d’un nouvel opus, malgré les difficultés à trouver une maison de disques, à l’instar de Marie-Paule Belle, à laquelle elle offre le texte de Plou dans l’album L’heure d’été et de Tu m’chavires dans Il n’y a jamais de hasard, paroles écrites en collaboration avec Jean-Jacques Thibaud,, parolier de Lara sur Maldonne et Mélomanie. Il n’y a jamais de hasard.

Nous attendions donc un nouveau cd et Isabelle Mayereau, produite par Touchstone et distribué par Sony, l’a fait. Treize chansons inédites, dont certaines (Anima, Les mots, Juste une amertume, La bouche de Gregory Peck, Coule veine) testées avec succès sur scène : Anima fut instantanément un « tube ».

Le répertoire d’Isabelle Mayereau m’est toujours apparu comme une bonbonne emplie de douceurs qui consolent des douleurs. Passons sur le côté guimauve que d’aucuns s’attardent à lui attribuer ; certes, pour qui n’a pas de goût, la chanson n’a pas de saveur. Parce qu’Isabelle pose des notes légères sur des mots graves, parce qu’elle les chante avec le sourire, on ne retient que le sourire. Et elle le sait, qui écrit : « vous voulez que je m’éclate/que j’explose rouge écarlate/mes mots/ne sont pas toujours guimauve/sirupeux mélasse et sauve/qui peut » (Ecarlate). La mollesse du marshmallow, ne serait-ce pas plutôt de la tendresse : « on s’fait des smacks/être chiffon, c’est bien » (Smacks).

Et pourtant, acidulé au citron, vous avalerez tout rond Crocodiles : « vous qui manipulez/les gens comme des mounacs/qui en faites du mou à chat/par kilos et en vrac/dégueulasse/.../et vous écrasez tout/pour un seul bout de fric/vos mots c’est pas des mots/mais c’est des coups de trique ». Vous croquerez dans ce bout de zan à la violette qui jaunit la vie : « on a trouvé dans une poubelle/un enfant de 4 semaines/un clochard en mal d’hydromel/criait c’est Jésus c’est Noël /.../ on a trouvé une petite robe/dans la voiture d’un monsieur snob/qui jouait aux demoiselles » (On a trouvé...).

Fondant au cœur dur, vous dégusterez sa Belle histoire d’amour : « si tu me dis des histoires / j’te brûle avec mon cigare / je t’enlève même un bout d’peau / que je jette dans l’lavabo », qui coule dans le pavillon dès les premières secondes, puis croque sous le tympan.

Tel un bon chewing-gum que l’on peut mâcher et remâcher, ses disques durent sans même rajouter de sucre. Bonbons, caramels, chocolats, arôme, saveur, parfum, les chansons d’Isabelle « goûtent » quand le monde, lui, dégoûte. Et comme aujourd’hui c’est hier, comme demain ne changera rien, Chasseur d’images et son « Caramba mi amor j’ai retrouvé /le goût de demain le goût d’encore et d’après » le confirme : son nouvel album Juste une amertume est une dragée au poivre.

Comme les autres disques d’Isabelle, celui-ci ne porte pas de titre propre : emprunté à la première chanson, il nous permet d’entrer, comme une porte déjà ouverte, de plain-pied dans un disque construit comme un recueil de nouvelles. Pas le temps de perdre du temps à perdre son temps : chaque note entre dans le vif du sujet, chaque mot suggère ce qu’il ne dit pas : « ah les nuits sans somm’/sans somm’ j’en dirai le minimum » (La bouche de Gregory Peck). Facile de passer à côté. Bouleversant de tomber dedans. Les mots sont l’obsession de celui qui s’écrit : « ils sont dangereux, faut du style » (Coule veine) et la sienne : avec Les mots, comme au temps des Mots étranges, elle tente de faire le tour de ce qui ne s’épuise pas, avant de conclure : « je m’demande où ça va/tous les mots qu’on dit pas qu’on ravale ». Voici et voilà tout Isabelle Mayereau.

Une langue qui joue sur la répétition ; chaque phrase de Briquet tempête commence par « Je me souviens » (on se souvient de Georges Pérec) afin de lister ces petits riens qui font la vie et déplorer le temps qui passe (on pense au Mistral gagnant de Renaud), parfaite chanson de fin d’album et d’après-midi qui invite les amis parce qu’elle ne veut pas finir seule ; sur la reprise : Coule veine ne se refuse rien puisque le texte est chanté deux fois de suite sans qu’on puisse une seconde se plaindre de cette redite ; sur l’accumulation : de noms de villes pour le refrain de Shangaï Palace, de noms communs évocateurs d’insécurité dans Bisbilles... Un style qui lui permet de construire des chansons sans refrain proprement dit : un mot (désir), une onomatopée (mmmmm), une interjection (hey), les choeurs de Dent de lion ou la ligne mélodique de Bisbilles font l’affaire (la belle affaire !) sans complexe.

Une écriture qui permet d’installer une voix aérienne au timbre reconnaissable entre mille, parfois appuyé (Anima), une diction si particulière (Coule veine) et un phrasé original (La bouche de Gregory Peck), un chanter-parler très séduisant dans les graves (Shangaï Palace) et des murmures appropriés à la confession de secrets (Matin bleu).

Une thématique qui raconte les rencontres incertaines, les histoires à deux, la nostalgie, la folie, la fascination du cinéma américain, les voyages forcés, la fuite, la solitude. Comme dans les précédents albums ; ainsi Anima joue sur le même registre que Matins des grandes villes, Briquet tempête prolonge Mal aux dents, La bouche de Gregory Peck renvoie à Stars fantômes, Juste une amertume à Chocolat brun, Dent de lion à Maboul, Bisbilles à Inexorablement, etc. Des chansons à effet rétroactif.

Une partition qui empreinte au folk-trot (trot comme dans trotter), aux échappées latines, aux flâneries exotiques, aux errances blues, aux promenades country, aux ballades riffées, aux randonnées new age : la nappe est mise (et bien mise) pour toutes ses musiques invitées. Isabelle Mayereau -elle s’accompagne elle-même à la guitare- et ses partenaires de studio et de scène (qui furent également ceux d’Hervé Cristiani) Patrick Léger (aux claviers) et Emmanuel Vergeade (aux guitares acoustiques et électriques) installent un décor sonore -supervisé par Jacques Bedos, fidèle conseiller artistique- que viennent colorer, à pas feutrés, une rythmique discrète (basse, batterie), un accordéon subtil et des percussions astucieuses.

Tout, dans ce disque, participe à une évidence : Isabelle Mayereau nous manquait. « Mais un jour, il faudra/que tes silences cessent » (Les mots). C’est fait.


Discographie originale

(Sans titre). 1977. L'enfance. Pas ensemble. Simili U.S.A. Standing. Des gouttes mauves. Jeux des regards. Hash. Sirop de vie. Oranges bleues. Des synthétiseurs.(AZ STEC 261)(Sans titre). 1978. Différence. Trois kilos. Souffle en l'air. Métamorphose. Palmier plastique. Tu m'écris. Les puces. Coups de gommes. Stars fantômes. Aquarelle.(AZ STEC 285)

(Sans titre). 1979. Déconfiture. Les mains au chaud (le zist et le zest). Ecarlate. Mal aux dents. Bureau. Objets. Crocodiles. Coup de froid. Smacks. Voyage. Inexorablement.(AZ STEC 299)

Des mots étranges... 1980. Des mots étranges. Uppercut violent. Chocolat brun. Fantasmes. Bordeaux. Il faudrait oublier le temps. On a trouvé... Blues ou cafard. Courant d'air. W.Rock. Pax hôtel.(AZ 2 344)

Nuages blancs. 1982. Nuages blancs. Sans défaut apparent*. Bateau coulé. Matins des grandes villes. Piège à rats. Belle histoire d'amour. Look*. C'est une vie. Risque d'avalanche. Histoires d'ailleurs.(AZ 2 410)

(Sans titre). 1984. Les mouches. Comme un café noir. Maboul. Eclats. La dame au renard. L'homme à l'imper. Les bleus. Finie l'histoire. Tu brillais comme... L'air marin.(Wea Filipacchi Music 240 514-1)

Film noir. 1987. Oubliez. Comme une histoire. Opium. Tam-tam square. Maso blues. Film noir. Jimmy. Où allez-vous ? Dynamite-moi.(Wea Filipacchi Music 242 108-1)

Juste une amertume. 1997. Juste une amertume. Dormir. All the day. Les mots. Dent de lion. Chasseur d’images. Shangaï Palace. Matin bleu. Coule veine. Anima. La bouche de Gregory Peck. Bisbilles. Briquet tempête.(Touchstone TST 9910-2)

Paroles et musique d'Isabelle.Mayereau sauf :

* Sans défaut apparent : Isabelle Mayereau / Sauveur Mallia

* Look : Isabelle Mayereau / Jean Musy





1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour
Merci à vous pour cet article que je ne connaissais pas.
Vous êtes la première qui retrouvez dans mes mots tout ce que j'y blottis. Bravo pour cette attention d'écoute, cette sensibilité, cette justesse de ton.
Maintenant que vous êtes sur la mailing list, vous serez informée de tout : je prépare un nouveau cd et compte bien promener mon spectacle de l'Essaïon plus loin que le Marais !
Bien cordialement
Isabelle Mayereau

[mail reçu le 17 mai 2005 que j'ajoute en commentaire au texte pour lequel il était destiné]